Mariana Lutsiv

Mariana Lutsiv

FR : Il m’est difficile d’écrire sur le moment où l’invasion à grande échelle a commencé. J’essaie d’en tracer les grandes lignes, de les mettre sur papier. Mais cela ne sert à rien. Je pense qu’il n’est pas encore temps d’ouvrir ce coffre à souvenirs.

Je veux partager l’histoire de l’arrivée de ma famille à Montréal, une ville inconnue et étrangère. Il n’y avait pas une seule personne que nous connaissions et, un an et demi plus tard, les bons amis d’aujourd’hui me font encore plus aimer cette ville.

Mais commençons par le commencement. Le plus grand avantage est que ma famille est avec moi. Ce fait, bien qu’encourageant, a provoqué un fort sentiment de culpabilité. J’ai eu du mal à écouter mes amis qui me disaient : « Tu as de la chance! », « Pourquoi t’inquiètes-tu? », « Vis en paix dans ton Canada ». Ils semblaient vouloir me soutenir, mais le sentiment de malaise perdura, car ni mon mari ni moi ne pensions avoir de la chance. Nous savions pourquoi nous étions ici et pourquoi nous étions venus. Pendant que nous essayions de nous adapter, nous et nos enfants (ils avaient 2 et 4 ans à l’époque), nos parents et amis faisaient des choses impossibles en Ukraine. Ils ont protégé, aidé et se sont portés volontaires. Pour faire face à nos sentiments, nous avons essayé de faire ce que nous pouvions ici, localement. Nous avons rencontré des gens formidables qui soutenaient l’armée (encore aujourd’hui), qui ont organisé des événements pour les nouveaux arrivants, des rassemblements et des manifestations… Les gens étaient prêts à donner des objets, des jouets, des vêtements sans ne rien demander en retour. Nous avons eu beaucoup d’attention et de soutien. Nos enfants recevaient toujours des cadeaux. Une famille ukrainienne, qui vivait à Montréal depuis longtemps, nous invitait périodiquement à des dîners. Je ne peux m’empêcher de me rappeler qu’une autre famille ukrainienne, qui vit ici depuis l’occupation de la Crimée, nous a invités chez elle pour le premier Noël. Je n’avais jamais pu imaginer à quel point il était difficile de fêter Noël loin de chez soi. Des personnes bienveillantes nous ont entourés d’attention et d’hospitalité. 

De nouvelles connaissances nous ont donné l’espoir que nous pourrions faire face à tout. Et petit à petit, nous y sommes arrivés. Mais un autre facteur s’est mis en travers de notre chemin : la dépression. Même si je détestais l’admettre et que j’avais beau vouloir l’éviter, il fallait que cette dépression se produise pour que je puisse enfin m’effondrer, pleurer, « sortir » tout ce que j’avais à l’intérieur, pour enfin remonter. Aujourd’hui, je grimpe encore, et les souvenirs de se réveiller les matins où rien ne retient l’intérêt, du manque d’appétit et des pensées noires restent bien présents. Je ne veux pas retomber dans ce gouffre où j’ai dû m’extraire par la force.

Des pensées non constructives telles que : « les autres vivent encore plus mal », « tu devrais être heureuse et au moins faire quelque chose », « si tu prends des antidépresseurs, c’est que tu ne fais pas face à la situation et que tu es faible », « la dépression a commencé maintenant, alors qu’elle n’existait pas en Ukraine, donc je me sens encore plus mal ici » et toutes les autres n’ont fait qu’engendrer un cercle vicieux. Parce que les pensées provoquaient des émotions, les émotions provoquaient des actions, et mes actions non constructives (comme dormir trop, ne rien faire à la maison, ne pas faire de sport, refuser de rencontrer les autres, avoir un emploi du temps quotidien chaotique, faire défiler les médias sociaux, etc.) me ramenaient aux mêmes pensées destructrices. C’est à cela que ressemble la dépression : un cercle vicieux.

Ce problème est également compliqué par le fait que les problèmes de santé mentale sont souvent un sujet tabou dans la société. Mais ce n’est pas une fatalité. 

Maintenant que je suis sur la voie de la guérison, je peux dire que de traverser une dépression, c’est comme essayer de réapprendre à marcher. Vous tombez, mais vous vous relevez pour remettre votre vie sur les rails. Vous voulez retrouver la force de vous réveiller chaque matin et de planifier votre journée. Et comme on est loin de chez soi, on veut rester impliqué dans la guerre. 

Les sentiments de culpabilité, les pensées non constructives, les difficultés à se comprendre soi-même, il faut les mettre de côté et parler avec un psychologue. Ensemble, nous devons traverser ce parcours en sachant qu’il s’agit d’une étape obligatoire du traitement. Car la dépression est une maladie. Ce n’est pas de la paresse ou un caprice. Lorsque l’attitude à l’égard de la dépression change, de simples choses reviennent, comme : marcher tous les jours, bien dormir et manger. 

Avec l’émigration, mon sentiment de ne pas être chez moi s’est accru. Plus précisément, j’avais l’impression d’avoir perdu ma maison. Je cherchais partout quelqu’un qui pourrait m’expliquer comment calmer cette tristesse. Comment tant d’immigrés pouvaient-ils quitter leur terre natale et leur famille pour venir ici? Bien sûr, j’ai entendu et compris les histoires, et il m’a semblé responsable et logique de le faire. Mais alors, comment s’expliquer à soi-même ce qu’est un foyer? Comment certaines personnes peuvent-elles partir et s’enraciner, alors que d’autres n’y parviennent pas du tout? J’ai pu me donner une réponse, et cette question est également devenue une partie de ma vision du monde. Je suis reconnaissante à une femme merveilleuse de m’avoir dit qu’elle vivait comme entre deux mondes (était-ce possible? il s’avère que oui), et cette explication a été acceptée par moi. C’est exactement ce que j’ai ressenti. Un autre scénario que je ne connaissais pas auparavant.

Une autre réponse est venue d’une phrase du livre Home for Home de Victoria Amelina, où l’auteur écrit : « La maison est l’endroit où nous laissons nos marques ». Et c’est devenu une explication. Une bouée de sauvetage. Alors quelles traces suis-je en train de laisser ici? Est-ce que je perds mon temps à apprendre une langue étrangère, à m’investir pour mes enfants, à explorer ce monde, à continuer à étudier, à faire du bénévolat, à travailler? Puis-je choisir de tout abandonner pour souffrir et remplir mon cœur de regrets? C’est ce que veulent nos ennemis. Abandonner. Admettre que la guerre a une conséquence définitive sur notre vie. 

Le premier livre que j’ai lu pendant la guerre et, par conséquent, pendant mon émigration, était La quête de sens de l’homme de Viktor Frankl. Il disait que nous vivons ce jour, aujourd’hui. Nous nous fixons des objectifs à court terme. Nous prenons soin de nos pensées et cultivons la résilience, car il y a des choses qui ne pourront jamais nous être enlevées. Ce sont nos valeurs. C’est une pendule dans une mer agitée. C’est le diapason de notre âme. Si nous l’entendons, si nous le suivons, si nous sommes fidèles à nos valeurs, alors nous sentirons certainement cette force intérieure et nous serons prêts à opérer divers changements dans notre vie. 

À tous ceux qui ont lu jusqu’ici, je vous remercie, ainsi que les auteurs du projet, d’avoir partagé mon histoire, de l’avoir rendue intéressante pour autrui et peut-être même de lui avoir donné une étincelle d’espoir et de force. J’en suis très heureuse. Avec votre permission, j’aimerais embrasser chacun d’entre vous, qui a été confronté à des défis dans la nouvelle société.

UA : Мені складно писати про час, коли почалося повномасштабне вторгнення. Я намагаюся це окреслити, викласти на папері, та марно. Гадаю, ще не час відкривати цю скриню спогадів.

Натомість я хочу поділитися історією, як моя сім’я приїхала до Монреаля – міста невідомого і чужого, де не було жодної знайомої чи близької нам людини. Забігаючи наперед, скажу, що відтоді минуло півтора роки, а теперішні гарні друзі та хороші люди не лишають іншого вибору, як любити це місто ще сильніше.

Але по порядку. Найбільшою перевагою залишається те, що зі мною моя сім’я. Цей факт, хоч і підбадьорливий, та провокував сильне почуття провини. Важко було слухати знайомих, які говорили: “Вам пощастило!”, “Та за що ти турбуєшся?”, “Живи спокійно у своїй Канаді”. Це мало б звучати як підтримка, та від почутого ставало значно гірше. Ні я, ні мій чоловік не вважали, що нам пощастило. Ми розуміли, чому ми тут і через що приїхали. Поки ми намагалися якось адаптувати себе і своїх дітей (а їм на той час було 2 і 4 роки), наші родичі, друзі та знайомі робили неможливі речі в Україні: захищали, допомагали, волонтерили. Щоб хоч якось справитися з почуттями, ми намагалися робити, що могли, тут на місці. Так ми познайомилися з прекрасними людьми, які підтримували військо (і підтримують надалі), організовували круті події для новоприбулих, збирали мітинги й оранізовували протести… Люди були готові просто так віддавати речі, іграшки, одяг. Ми отримали багато уваги та підтримки. Нашим дітям постійно щось дарували. А одна українська сім’я, яка давно живе в Монреалі, періодично запрошувала на вечері. Не можу не згадати, як інша українська сім’я, яка живе тут ще з часів окупації Криму, запросила нас до себе на перше Різдво. Я подумати не могла, що святкувати Різдво далеко від дому може бути настільки тяжко. Але добрі люди огорнули нас увагою і гостинністю. 

Нові знайомства дарували нам надію, що ми з усім впораємося, і крок за кроком ми до цього йшли. Та на шляху постав ще один фактор: депресія. Як би мені не хотілося цього уникнути, використовуючи мої знання з психології, і як би мені прикро не було це визнавати, але ця депресія мусила статися. Щоб я нарешті впала, виплакалася, “витягнула” все зсередини, відштовхнулася і викарабкалася вгору. Сьогодні я ще продовжую карабкатись, але добре пам’ятаю, як це бути в полоні своїх же думок, не бажати прокидатися зранку, не мати ані інтересу, ані апетиту, ані позитивних думок. Більше в цю яму потрапляти не хочеться, тому витягувати себе звідти довелося і доводиться силоміць.

Такі неконструктивні думки, як: “Іншим ще гірше”, “Ти мала б радіти і хоча б щось робити”, “Якщо ти приймаєш антидепресанти, значить, ти не справляєшся і ти слабка”, “Депресія почалася саме зараз, а в Україні її не було, отже, мені тут гірше” і тому подібне – тільки створювали замкнене коло. Бо думки провокували емоції, емоції – дії, а мої неконструктивні дії (як-от багато сну, небажання робити щось по дому, небажання займатися спортом, відмова зустрічатися з іншими, хаотичний графік дня, скролення соцмереж тощо) знову повертали до тих самих руйнівних думок. Так виглядає депресія – замкнений цикл. Ускладнювалася ця проблема ще й тому, що в суспільстві ментальні труднощі – це часто табуйована тема. Але так не має бути. 

Зараз, коли я на шляху до одужання, можу сказати, що переживати депресію – це так, ніби ти знову намагаєшся навчитися ходити. Ти падаєш, але знову піднімаєшся, щоб таки налагодити своє життя. Ти прагнеш повернути собі сили прокидатися щоранку, планувати день. І будучи далеко від дому, не бути осторонь війни. 

Почуття провини, неконструктивні думки, труднощі розуміння себе слід залишити для роботи з психологом. Разом цю дорогу треба осилити з розумінням, що це обовʼязковий етап лікування. Бо депресія – це хвороба. Це не лінь і не забаганка. Коли міняється ставлення до депресії, зʼявляються такі речі, як: я мушу виходити гуляти щодня, я зобовʼязана спати і добре харчуватися, я маю робити кроки, хоч які маленькі, щоб допомогти Україні у війні.

З еміграцією посилилося відчуття дому. Точніше, зʼявилося відчуття втраченого дому. Я шукала всюди, хто міг би мені пояснити, як можна вгамувати той смуток. Як можуть стільки емігрантів залишати рідну землю та родину і приїжджати сюди? Я, звісно, чула і розуміла людські історії, і це здавалося відповідально та логічно, чому саме так. Але як тоді пояснити собі, що таке дім? Як одні можуть їхати і пускати коріння, а іншим це геть не під силу? Я змогла дати собі відповідь на це питання – і воно також стало частиною мого світогляду – завдяки знайомству з прекрасною жінкою, яка зізналася, що “живе ніби між двома світами” (а так можна? Виявляється, можна). І я прийняла це пояснення. Саме так я відчувала себе. Інший, невідомий мені досі варіант подій.

Ще однією відповіддю стала фраза з книжки Вікторії Амеліної “Дім для Дому”, де авторка пише: “Дім – це там, де ми залишаємо свої сліди”. І це стало поясненням. Рятівним кругом. Тоді які сліди я залишаю тут? Невже я марную час, вивчаючи іноземну мову, вкладаючи час у своїх дітей, пізнаючи цей світ, продовжуючи навчатися, волонтерити і працювати? Хіба я можу зробити вибір відмовитися від усього, щоб страждати і наповнювати своє серце жалем? Це те, чого прагнуть наші вороги, – здатися, опустити руки. Визнати, що війна має фінальний вплив на твоє життя. 

Перша книжка, яку я осилила за час війни, а відповідно й еміграції, це “Людина у пошуках сенсу” Віктора Франкла. Там ішлося про те, що ми живемо в ось цей день, сьогодні. Ставимо собі короткі цілі. Дбаємо про наші думки і плекаємо стійкість. Бо є речі, які ніхто і ніколи не зможе у нас забрати. Це наші цінності. Це маятник у бурхливому морі. Це наш камертон душі. Тільки почути їх, іти за ними, бути вірними своїм цінностям, і тоді ми обовʼязково відчуємо цю внутрішню силу і готовність до різних змін у нашому житті. 

Усім, хто прочитав до кінця, я вдячна вам і авторам проекту, що можу поділитися своєю історією, що для когось вона цікава і навіть, можливо, подарує іскру надії та сили. Я б цього дуже хотіла. А також хочу обійняти, з вашого дозволу, кожного та кожну, хто зустрівся з викликами в новому суспільстві.