Olena Chorna

Olena Chorna

FR : Lorsqu’on m’a demandé de raconter mon histoire, j’ai d’abord eu peur, puisqu’il est très difficile de partager son malheur et qu’il n’y a pas d’intérêt à le faire. Mais au bout d’une minute, j’ai réalisé qu’il y avait tant de misère et que le monde devait, sinon comprendre, du moins savoir.

Nous sommes des milliers – ceux qui sont partis et ceux qui sont restés. Ceux qui protègent, ceux qui aident, ceux qui existent dans la guerre, qui vivent dans la guerre. C’est notre vie ici et maintenant, il n’y en aura pas une autre. On perd des années, on ne peut pas dormir. Et nos histoires, celles des Ukrainiens qui ont été forcés de quitter leur pays, sont semblables dans la douleur tout en étant différentes. Parce que chaque personne est un univers.

La guerre… Qui sait comment la décrire. Elle a commencé dans notre pays, dans chaque endroit, dans chaque famille et dans chaque personne.

J’ai senti que quelque chose allait se produire. Non, pas une invasion russe à grande échelle, car c’était difficile à croire : après tout, la civilisation, le XXIe siècle, le monde ne le permettrait pas…

Avant la guerre, je ne pouvais pas avoir assez de la vie : je voulais tout à la fois, des résultats, des réussites, des joies. Il y avait quelque chose dans l’air, comme si on pouvait tout perdre. En fait, même si je suis réaliste, une certaine intuition et une prémonition se sont manifestées.

J’ai ma propre histoire sur le début de la guerre. Dans le centre de Kharkiv (d’où je viens), un grand drapeau ukrainien flotte. Deux jours avant l’invasion, je rentrais chez moi après avoir vu mes parents, je marchais le long de la rivière et je regardais ce drapeau qui était le nôtre. C’était magique. Il flottait au milieu de trois églises, et c’était si symbolique, si puissant! Les lumières du centre-ville le soir, le parc, la rivière… Je voulais prendre une photo, mais j’avais oublié mon téléphone à la maison. J’y suis donc retourné le lendemain, dans la soirée, et notre drapeau ne flottait plus. C’était comme s’il était en deuil. Je comprends, bien sûr, qu’il n’y avait tout simplement pas eu de coup de vent, que cela peut s’expliquer logiquement, mais j’étais alors stupéfaite. À cinq heures du matin, nous nous sommes réveillés sous les bombardements.

C’est également impossible à décrire. Tout comme il est impossible de l’oublier. Ce n’est pas semblable à une explosion de pétards ou de feux d’artifice – vous réalisez avec tout votre corps, avec chaque nerf, que c’est la guerre, qu’ils sont venus pour nous tuer. Vous appelez et écrivez à vos parents et amis dans tout le pays, vous recevez les mêmes appels et les mêmes messages. C’est tout simplement horrible…

Je pensais écrire sur toutes les étapes que j’ai franchies depuis le début de la guerre jusqu’à mon départ, puis sur mon voyage à Montréal, au Québec, mais je ne peux pas le faire, car il y a trop d’émotions. Je dirai seulement que je sais ce que c’est que de courir à la maison pendant un bombardement et quand le sol se dérobe sous vos pieds. Lorsque les obus frappent les maisons voisines, que les murs tremblent, que vos oreilles se bouchent et que vous vous transformez en animal traqué. Vous appelez votre famille en vous demandant s’ils sont encore en vie ou s’ils sont proches.

L’immeuble où se trouvait notre appartement se trouve en plein cœur de la ville, à côté de l’administration régionale et de nombreuses autres institutions publiques. Notre rue a été bombardée dès le premier jour de la guerre.

Personne n’a besoin de vivre cette expérience. Je n’oublierai jamais la sensation que l’on éprouve lorsqu’on entend un obus voler si proche. Vous ne dormez pas la nuit, assis dans le couloir, alors que les bombardements se poursuivent autour de vous et que, bien que les murs soient encore debout par miracle, ils tremblent d’une manière qui ne peut être exprimée par des mots. Il faut descendre en courant les escaliers qui mènent au sous-sol lorsqu’un obus s’envole, on l’entend, on le sent de tout son corps, et on ne sait pas si on aura le temps d’arriver à l’abri. Les personnes âgées ne peuvent pas courir aussi vite, alors elles restent dans les couloirs et les salles de bains. 

Je n’oublierai jamais les bombardements du début de la guerre. Un avion faisait son premier virage et lâchait bombe après bombe. Nous, nous comptions le temps entre elles. Comment oublier ce son et cette sensation?

Nous et nos voisins avons été sauvés par notre immeuble – une vieille maison construite en 1891, faite de briques d’un demi-mètre. Elle a survécu à la Seconde Guerre mondiale, ses murs portent encore des « blessures » causées par les obus de chars d’assaut. Les gens avaient même l’habitude de la visiter. Nous n’étions que quelques familles à y vivre. Il n’y avait pas de sous-sol, juste un petit placard sous les escaliers où nous gardions quelques affaires comme des pneus. Ce débarras est devenu un abri pour nous tous.

Nous y avons passé les trois derniers jours avant notre départ. Le jour de notre départ, la maison n’avait plus d’électricité, ses fenêtres étaient cassées et ses portes tordues. C’était le mois de février. Nous n’avons pas pu retourner dans nos appartements, car les bombardements n’ont pas cessé. À un moment, le sol a tellement tremblé que nous nous sommes évanouis. Nous pensions que c’était la fin.

Je ne sais pas combien de temps s’est écoulé avant que nous ne reprenions tous nos esprits. Les hommes ont couru pour sauver les femmes âgées qui étaient restées dans les appartements. Ils les ont amenées en bas. 

Dehors, tout était noirci, des fragments de métal et Dieu sait quoi d’autre volaient dans tous les sens. Un camion de pompiers hurlait, la rue était bloquée. La maison voisine avait été touchée. Je ne sais toujours pas combien de personnes se trouvaient là et ce qui leur est arrivé. Ce ne fut pas le seul immeuble à qui cela arriva. Après, toutes les personnes qui habitaient notre maison sont parties. Elle est encore inoccupée.

Ensuite, il y a eu le voyage de trois jours jusqu’à Lviv, et c’est une autre histoire. Comment oublier les embouteillages tout au long du trajet, il n’y avait que des femmes, des enfants et des animaux domestiques, l’horreur de rouler très lentement au sein de ces milliers de voitures et de penser qu’il était si facile de nous abattre tous ici, dans la file d’attente.

La nuit, nous l’avons passée dans la voiture à une station-service. Nous sommes reconnaissants envers nos militaires de nous avoir permis d’y rester. Il faisait terriblement froid et le matin, nous avons été choqués de voir qu’elle avait été bombardée. Une fois de plus, les militaires nous ont aidés et ont fait le plein de notre voiture. À chaque poste de contrôle, on nous demandait de l’aide. Je me souviens des larmes dans les yeux de mon mari lorsque je lui ai annoncé que nous quittions Kharkiv. Car Kharkiv est une histoire à part dans cette guerre féroce pour l’indépendance.

Un mois à Lviv. Un mois à Varsovie. Puis le Québec, à Montréal. J’ai une sœur ici qui nous a suggéré, à ma mère et à moi, de partir lorsque le Canada a ouvert un programme de sauvetage pour les Ukrainiens. Nous n’avions pas prévu de partir, car mon mari, mon père et mon fils devaient rester. Toutefois, nous avions le sentiment que nous ne pouvions pas.

Cela fait maintenant presque deux ans que nous sommes ici. Nous vivons dans un pays merveilleux qui nous a permis de nous loger, de trouver des amis, de travailler, d’apprendre sa langue et sa culture. Le soutien de la part des Québécois et des Canadiens est incroyable. Nous construisons une vie ici.

Mais nos proches sont en Ukraine. Et la guerre ne s’arrête pas pour nous après notre départ. Notre parcours n’est pas très similaire à celui d’un migrant typique. Je pense donc que nous devons raconter nos histoires, qui sont à la fois si semblables et si différentes, parce que le monde qui nous protège a besoin de savoir ce qui se passe en Ukraine au XXIe siècle.

UA : Коли мені запропонували розповісти мою історію, мене це спершу налякало, бо дуже важко ділитися лихом, і немає сенсу. Але за якусь хвилину я зрозуміла, що цього лиха так багато і світ повинен якщо не зрозуміти, то хоча б знати.

Нас тисячі – тих, хто поїхав і хто залишився. Хто захищає, хто допомагає, хто існує у війні. Живе у війні. Бо це наше життя тут і зараз, іншого не буде. І не викинеш роки, не заспиш. І наші історії, історії українців, які змушені були покинути свою країну, схожі до болю, але й до болю різні. Бо кожна людина – всесвіт.

Війна… Хтозна, як це описати. Це почалося в нашій краіні, в кожному місці, в кожній окремій родині та людині.

Я відчувала, що щось буде. Ні, не повномасштабне вторгнення Росії, бо в таке важко було повірити: як-не-як цивілізація, 21-е сторіччя, світ не дозволить…

Перед війною я не могла нажитися: хотілося всього й одразу, якихось результатів, здобутків, радощів. Щось витало таке в повітрі, наче ти можеш все загубити, втратити, не встигнути чогось. Я взагалі-то реаліст, але включилась якась інтуїція, передчуття.

У мене своя знакова історія початку війни. У центрі Харкова (а я харків’янка) майорить великий прапор України. За два дні до вторгнення я поверталася додому від батьків, ішла берегом річки і дивилась на цей наш прапор. І це було чарівно. Він майорів посеред трьох церков, і це було так символічно, так сильно! Вогні вечірнього центру міста, парк, річка… Я хотіла це сфотографувати, але забула телефон удома. Тож повернулася туди наступного дня, ввечері. І наш прапор уже не майорів. Він був ніби у траурі – ні, не спущений, але пониклий. Я, звісно, розумію, що просто не було потрібного пориву вітру, що це можна логічно пояснити. Але це мене приголомшило. А о п’ятій ранку ми прокинулись від обстрілів.

І це теж неможливо описати. І забути неможливо. Це не схоже на розриви петард чи феєрверків – ти всім тілом, кожним нервом розумієш, що це війна. Що вони прийшли нас вбивати. І ти дзвониш, і пишеш рідним та знайомим по всій країні, ти отримуєш такі ж самі дзвінки і повідомлення. Суцільний жах…

Я думала, що напишу про кожен свій крок від початку війни і до від’їзду, потім про свій шлях у Монреалі, Квебеку. Але я не можу цього зробити, бо забагато емоцій. Я скажу тільки, що знаю, що таке бігти додому під час бомбардування, і коли земля тікає з-під ніг.

Коли в сусідні будинки прилітають снаряди, і стіни здригаються, і закладає вуха, і ти перетворюєшся на затравленого мисливцем звіра. Дзвониш рідним – живі? Близько? Як близько?

Наш будинок у самому серці міста, поряд з обладміністрацією та багатьма іншими державними установами. Нашу вулицю бомбили з першого дня війни.

Я не можу це передати словами і, мабуть, не хочу. Цей досвід нікому не потрібен. Але я ніколи не забуду відчуття, коли ти чуєш, як летить снаряд, – настільки він близько. Як не спиш ночами, сидячи в коридорі, а навкруги бомбардування, і хоча стіни ще якимсь дивом стоять, але здригаються так, що не передати словами. Як біжиш сходами в підвал, а снаряд летить, і ти чуєш, відчуваєш усім тілом, і не знаєш, чи встигнеш добігти до укриття. А літні люди так швидко не бігають, тож вони залишаються в коридорах і ванних кімнатах. 

Я ніколи не забуду авіабомбардування на початку війни, коли ти вже усвідомив, що літак робить перший оберт, а після другого скидає бомбу. І ти рахуєш. Як забути цей звук і відчуття?

Нас і наших сусідів врятував наш будинок – старовинний будинок 1891 року, зведений із півметрових цеглин. Він пережив другу світову, в його стінах залишились “рани” від танкових снарядів і до нього водили екскурсії. Нас усього кілька сімей, хто жив у будинку. Підвалу не було, тільки невелика комірчина під сходами, в якій зберігали якісь речі, колеса від машини. І ця комора стала прихистком для нас і наших сусідів.

Останні три доби перед від’їздом ми провели там. У день від’їзду будинок був уже без світла, з вибитими вікнами і вивернутими дверима. Лютий, повний люті… Ми не могли повернутися до своїх квартир, бо бомбардування не припинялися. В один момент здригнуло так, що нас засипало. І оглушило. Ми думали, що це вже кінець.

Я не знаю, скільки минуло часу, доки ми всі оговтались. Чоловіки побігли рятувати літніх жінок, що залишилися в квартирах. Спустили їх донизу. Шок…

Коли ми вийшли на вулицю, довкола все потьмяніло, літали уламки металу і ще бозна чого. Волала пожежна машина, вулицю загородили. Був приліт у сусідній будинок. Я досі не знаю, скільки там було людей і що з ними трапилося. Таких прильотів було чимало, але після цього всі жильці нашого будинку виїхали і донині там ніхто не живе.

Далі було три дні дороги до Львова, і це теж окрема історія. Бо як забути затори по всьому шляху, машини, в яких тільки жінки, діти і домашні улюбленці? Цей жах, коли ти їдеш дуже повільно, бо тисячі машин, і думаєш, як легко нас усіх тут розстріляти, в черзі на спасіння.

Ніч у машині, на заправці. Вдячні нашим військовим, що пустили нас на територію. Страшний холод, а вранці новий шок від побаченого – заправка вже після бомбардування. Знову військові допомогли і заправили нам машину. На кожному блокпосту нас питали про допомогу. Пам’ятаю сльози на очах чоловіка, коли сказала, що ми їдемо з Харкова. Бо Харків – то окрема історія цієї лютої війни за Незалежність.

Місяць у Львові. Місяць у Варшаві. Потім  Квебек, Монреаль. У мене тут сестра, яка запропонувала нам із мамою виїхати, коли Канада відкрила програму порятунку для українців. Ми не планували, бо вдома залишились наші чоловіки – батько і син. Але все ж таки вирішили поїхати, бо тут теж частина родини. Було відчуття, що треба їхати.

І ось ми вже майже два роки тут. Живемо в чудовій країні, яка дала нам прихисток, знаходимо друзів, працюємо, вивчаємо мову та культуру. Ми відчуваємо велику підтримку з боку Квебеку і канадійців. Ми звикаємо, асимілюємось. І будуємо життя, бо його не можна заспати, бо ми живемо тут і зараз.

Але наші рідні в Україні. І війна для нас не закінчується після від’їзду. І наш шлях не дуже схожий на шлях типового іммігранта. Тому, я думаю, ми повинні розповідати наші історії, такі схожі і такі різні водночас. Бо світ, який дає нам захист, повинен знати, що відбувається в Україні, у 21-му сторіччі.